Le vieux sage de Macao

Dans son décor ocre de soleil mâtiné d’âme portugaise, un matin d’octobre, je rencontrai le vieux sage. Assis devant une vieille table où trône un tableau imposant montrant des visages et des mains criblés, il se tient droit, muet – sérénité fantôme – entouré de photos au ton cérémonieux, dignes vestiges d’honneur où le vieux figure, central, aussi majestueux qu’une ombre absente. Regard fixe et sévère, dans ses yeux le marbre opaque de l’indifférence…Points de suspension dans les miens, puis s’éclipsant de ses images sur papier glacé, le vieux sage me prit la main : « petite étrangère, montre moi les lignes de ton visage et de ta main et je te conterai les lignes de ta vie ». La main kidnappée dans la sienne, le bruit de Macao s´assourdit derrière moi, la foule pourtant suivait encore, indolente, les courbes de la ruelle pavée où serpentent, noires, d’autres lignes parallèles, il faisait chaud en cette matinée d’octobre et le froid me saisit au ventre : « Vieux sage, je ne comprends pas ta langue, laisse ma main, laisse mes lignes, je veux continuer mon chemin ». Le vieux me lança un regard où ne luisait aucune émotion connue, comme un soupir immobile et muet. Je baissai les yeux sur sa loupe, déformante perspective des ces indices corporels que l’on ignore…Sur le tableau, comme des ombres, les visages et les mains se multiplient, toiles d’araignées aux destins géométriques, mystérieuse arithmétique, ne quadrille pas les hasards vieux sage ! Quel sorcier es-tu, je peux partir ?  Non pas encore jeune fille, car je veux savoir ton nom… Quelle importance ! En chinois on m’a donné le nom de Xia Lu. Il y a deux Lu, sais tu écrire le tien ? Le mien est celui qui ne se mémorise pas. Je vois, l’autre signifie « la
rosée » et le tien ce doit être « le chemin ».
Point d’interrogation suspendu à mes sourcils tandis que son regard s’adoucit sous l’impulsion d’une soudaine bienveillance. Chemin d´été…puisque tu portes ce nom, reprends ta route, j’abandonne tes lignes et ta main, suis le chemin, trace en les saisons, ta main ouverte dessinera la boussole…

En ce matin d’octobre, Macao se déroule, lignes serpentantes, ondulantes courbes qui me mènent nulle part, sous les lampions multicolores, étincelles artificielles sous le soleil frais des matins d’octobre, je n’ai vu que tes rides, vieux sage, et tes rides se déroulent sous mes paupières. Sous ce « Kodak express » tu m’as laissé kidnapper ton image au moment où tu as libéré ma main, captive de tes pouvoirs étranges, envoûtement de ta parole incomprise, Macao se dore sous le soleil et la rue garde ton odeur d’encens et de science occulte, Macao se dore et je m’en vais…

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